
C’est avec un immense plaisir que je vous propose le dernier compte rendu de cette année 2020.
Avant de vous inviter à vivre en immersion la préparation d’une sortie en rivière, et de vous conter le déroulement de celle ci, je vais commencer par vous présenter notre confrérie de kayakistes qui désormais portera les couleurs et les richesses de notre patrimoine nautique du Bugey, les:
« Pagayeurs du Séran »
L’étymologie de cette formule qui nous représente, rappellera forcément au kayakiste averti celle des « Pagayeurs du levant ». À sa prononciation, la sonorité vous paraîtra d’ailleurs familière. Et pour être franc avec vous, sans rien vous cacher, j’ai été très inspiré non seulement par ce groupe coopératif de kayakistes / céistes, mais également par leurs valeurs partagées.
En effet, chaque protagoniste évoluant au sein de notre confrérie est avant tout autonome et navigue sous sa propre responsabilité.
Nous avons par le passé, participé à des stages sur les fondamentaux en eau vive, que ce soit en club, ou alors hors cadre FFCK par l’intermédiaire de formations annexes prodiguées par des professionnels de renom.
Nous acceptons volontiers dans notre communauté, d’autres kayakistes tout aussi autonomes, désireux de faire connaissance avec le Séran, ou explorer d’autres parcours du Bugey et des environs.
Tout comme nos amis « du Levant », nous sommes fédérés par le désir d’échanger des expériences, partager de nouvelles connaissances et la volonté de progresser ensembles.
L’écusson qui défendra nos couleurs vous rappellera, pour ceux d’entre vous qui nous ont déjà aperçu, la belle vague du Groin confluant avec le Séran avec des débits avoisinants les 20m3/s, sur laquelle surfe allègrement un kayakiste enivré par les grondements perpétuels de la cascade de Cerveyrieu, reconnaissable d’ailleurs en arrière-plan sur notre logo.
Nous mettons principalement en avant nos sorties en rivière, mais nous n’hésitons pas à partager des parcours atypiques comme par exemple des navigations labyrinthiques au cœur des Marais de Lavours.
Notre ami Laurent NICOLET, que nous ne présentons plus, désireux d’aller explorer un petit ruisseau « Le Petit Vouard », m’avait contacté quelques semaines avant pour faire connaissance avec ce cours d’eau et l’ajouter par la suite à son immense tableau de chasse.
A l’issue de plusieurs conversations passionnantes, nous décidons de mettre en place une sortie pour le moins originale et 100% Bugiste, estampillée « Pagayeurs du Séran », au travers de laquelle nous allons:
- Embarquer sur le Séran quelques mètres en amont du Pont de la Cascade (45°52’36.8″N 5°40’41.3″E).
- Descendre la rivière en n’oubliant pas de nous arrêter au confluant Groin / Séran, juste devant le gymnase d’Artemare pour quelques petites sessions de surfs(45°52’25.9″N 5°41’07.7″E).
- Après avoir franchi le Pont SNCF de Marlieu, nous débarquerons rive gauche en amont du Pont de la Tuilière (45°51’20.6″N 5°43’15.6″E), abandonnant provisoirement le Séran pour rejoindre au prix d’un portage s’étirant sur plus d’un kilomètre, la commune de Talissieu.
- Au cœur du village (45°51’50.9″N 5°43’32.4″E), nous embarquerons sur le « Petit Vouard », ruisseau tant convoité par Laurent.
- Nous rejoindrons au cœur des Marais un autre ruisseau: « Les Rousses » (45°51’15.1″N 5°44’17.9″E).
- En descendant ce petit affluent, nous en profiterons pour aller explorer les Marais avant de retrouver le Séran et de terminer notre balade en aval du Pont d’Aignoz (45°49’59.3″N 5°44’49.0″E).
Gardez bien à l’esprit qu’une sortie en rivière ne consiste en aucun cas à arriver comme une fleur, poser son kayak sur l’eau et se laisser voguer vers l’inconnu.
Les rivières sont complexes et diffèrent d’un jour à l’autre. Notez qu’il vous faudra au préalable repérer les stations de mesure sur le web, qui vous permettront de connaître les débits en temps réel, vous évitant ainsi de vous rendre à l’improviste sur les lieux tant convoités pour découvrir avec désarroi un petit filet d’eau, synonyme d’une navigation avortée. Ou alors faire face à une autre situation radicalement opposée, avec des masses d’eau et des débits tellement imposants qu’il vous sera fortement déconseillé d’embarquer sous peine de ne rien maîtriser ou pire, de rester coincés sous un embâcle, et alimenter ainsi les gros titres des journaux friands de nouvelles anxiogènes, qui seront partagées en masse sur les réseaux sociaux, faisant ainsi tâche d’huile sur notre pratique « libre » du kayak.
Je vous propose d’ailleurs l’un des sites les plus consultés, et qui je pense, vous apportera beaucoup d’informations sur les débits des rivières de la région:
En parallèle à ce site, et à l’ère où les applications tentent de détrôner les sites dédiés, je vous propose de télécharger sur IOS ou Android l’application « River App », dans laquelle vous aurez accès aux mêmes stations de mesures que le site cité plus haut, mais également la possibilité de consulter des parcours d’eau vive officiels, et ainsi de savoir en temps réel si ces mêmes parcours sont navigables ou non:
Vous l’aurez compris, organiser une sortie en rivière, c’est un peu comme nous retrouver dans la même situation qu’un félin en quête de nourriture. Tapis dans l’ombre, au travers des herbes hautes, l’œil aiguisé, observant pendant des heures dans l’espoir qu’un individu s’isole du groupe pour passer à l’attaque, nous serons tout comme lui, tapis devant notre ordinateur, smartphone, etc… attentifs aux bulletins météo dans l’espoir que ces derniers nous annoncent pour les journées à venir, et de préférence juste avant le jour « J », de fortes précipitations.
Lundi 7 Décembre 2020
Au départ, ce ne sont que de maigres estimations sur les prévisions météo à venir.
La semaine précédente avait connu de fortes chutes de neige. Ces dernières, à défaut d’alimenter nos rivières, avaient surtout recouvert le plateau d’Hauteville, offrant pour les stations de ski Nordique aux alentours, une chance inestimable de pouvoir enfin démarrer la saison.
En ce début de semaine, les seules précipitations annoncées devaient avoir lieu Vendredi. Bref, inutile pour l’instant de faire des plans sur la comète. On décide avec Laurent de reprendre contact en fin de semaine pour une approche plus précise de la situation.
Après avoir regroupé les bulletins de divers sites météo, on apprend que les pluies annoncées initialement se décalent pour se mettre à cheval entre Vendredi et Samedi avec une légère hausse des températures. Je lance un appel à notre communauté des « Pagayeurs du Séran » au travers des réseaux sociaux, leur annonçant que la sortie se fera probablement Dimanche 13 Décembre. En effet, il y a fort à parier que les hausses de températures prévues, associées à la pluie à venir, viendront faire fondre une partie de la neige accumulée la semaine précédente, alimentant significativement les cours d’eau pour notre plus grand bonheur.
Vendredi 11 Décembre 22h00…
Comme bien souvent, lorsque je suis à l’affût des pluies tant convoitées, je prends toujours un certain plaisir à écouter les premières gouttes frapper en crescendo les fenêtres de toit. Et contrairement à la majorité de mes congénères, trop occupée à se morfondre tristement sur cette météo « maussade », je jubile intérieurement, scrutant avec une frénésie certaine sur l’application « River App » les premières courbes, dessinées par les stations de mesure de débits, monter au fil des heures pour atteindre des chiffres enivrants qui me feraient presque tourner la tête.
Ces mêmes courbes qui, par une estimation visuelle sur les prochaines 24 heures, et un incroyable coup de chance, viendront se marier à l’agenda prévisionnel, et générer en nos cœurs de kayakistes de rivière, un état de transe et d’excitation quant à la sortie à venir. A cet instant précis, plus grand chose ne compte, bien au contraire. On croise les doigts pour qu’aucun événement extérieur ne vienne perturber voire annuler la sortie programmée qui, à mesure du compte à rebours annoncé, va prendre les allures d’un Graal inestimable et éphémère qu’il nous faudra apprécier comme jamais.
Très vite, je mets en charge la caméra étanche pour capturer et immortaliser ces futurs instants que l’on va passer prochainement sur l’eau. J’effectue quelques petits tests de dernière minute, m’assurant que la carte mémoire a bien été non seulement insérée, mais également formatée, prête à accueillir, je l’espère secrètement, de superbes clichés et rushs que je m’imagine déjà en train d’extraire sur mon ordinateur, revivant au travers d’un montage vidéo, les événements forts de cette sortie.
Derniers ajustements sur l’agenda pour déterminer l’heure d’embarquement la plus propice en fonction des débits en cours. La pluie ayant cessé dans la nuit pour laisser place à un soleil généreux, les courbes de débits du Séran et du Groin, après avoir atteint leur paroxysme en milieu de nuit, amorcent désormais un lent déclin.
Dimanche 13 Décembre…
Malgré cette petite perte de vitalité, la rivière reste encore active et gorgée d’eau et ce, pour de nombreuses heures à venir. Nous nous offrons même le luxe, au sein de notre confrérie, de prendre le temps pour boire un bon café et de savourer quelques viennoiseries. Des instants tout aussi précieux que la navigation qui nous attend. Bien qu’impatient d’être au rendez-vous tant convoité avec la rivière, j’aime prendre le temps d’apprécier ces minutes de convivialité entre kayakistes, d’écouter et de prendre part à des conversations passionnantes. Une étape à mes yeux symbolique, agissant malgré elle comme une mise en bouche pour la journée à venir.

Nous profitons de la conversation pour organiser notre logistique, et charger la totalité des kayaks sur les navettes de départ, avant d’entamer la route vers l’arrivée à Aignoz, pour laisser sur place les autres véhicules, dans lesquels nous entreposerons plusieurs paires de sangles qui serviront plus tard à acheminer ces mêmes kayaks avant de boucler la boucle en fin de journée.
Nous voilà désormais sur la dernière ligne droite, quittant Aignoz avec les voitures chargées à bloc pour nous rendre à notre point d’embarquement. Difficile de passer inaperçus lorsque nous traversons Artemare à l’intérieur de ces mêmes voitures, sur lesquelles trônent fièrement 3 à 4 kayaks de rivière aux couleurs vives empilés les uns sur les autres.
Une fois sur place, les grondements imposants de la cascade de Cerveyrieu nous accueillent dignement. Les milliers de mètres cubes d’eau éjectés violemment d’une hauteur avoisinant les 60 mètres, se fracassent en contrebas dans un bruit assourdissant. Nous sommes là, en bord de route, face à cette cascade dominante, perchée majestueusement derrière le château de la cascade et son portail métallique qui semble garder jalousement les lieux.
Ce même bruit, mêlé à celui produit par les courants de la rivière en aval, semble propager en nous un état de transe et d’excitation mélangée à une énergie incroyable qu’il nous tarde d’aller dépenser dans les flots tumultueux de ce début de parcours.
Dans un défilé processionnaire, à l’instar d’une unité d’élite prête à en découdre, nous longeons la départementale 69, le kayak à l’épaule et la pagaie en main, pour rejoindre le pont de la cascade sous lequel nous allons pouvoir enfin, après tant d’attente et d’espérance, nous abandonner aux joies de la navigation en eau vive.
Galvanisés comme jamais, nous évoluons enfin sur la rivière tant convoitée, accompagnés par les grondements de la cascade, en direction d’Artemare. J’affectionne tout particulièrement cette première partie que nous offre le Séran. Elle est belle, sinueuse, tantôt exposée aux rayons lumineux du disque solaire particulièrement généreux en cette période de l’année, tantôt ombragée, recouverte de branchages multiples masquant dans la pénombre une partie de la rivière. De plus, le dénivelé important accentue la vitesse, et les quelques remous générés nous offrent un terrain de jeu incroyable.
Rapidement, nous rejoignons le confluent Groin / Séran, juste en aval du camping « Le Vaugrais » situé en rive droite. Notre vague tant attendue va nous permettre de brûler quelques calories au cours de sessions de surf enragées. Tel d’un chasseur de primes, Laurent dégaine son reflex pour immortaliser l’instant. Nous devenons malgré nous en l’espace de quelques minutes seulement l’attraction du moment. Promeneurs, et parfois même quelques automobilistes stoppent provisoirement leurs activités afin de satisfaire leur curiosité.




Mais très vite, il nous faut poursuivre notre aventure. Nous reprenons donc notre odyssée avec pour objectif de rallier le Pont de la Tuilière.
Après avoir fait le plein d’adrénaline sur la vague du Groin, franchi avec succès une belle section de rapides à hauteur de l’ancien passage à gué d’Ameyzieu, joué avec les contres courants des piles de pont de l’ouvrage SNCF de Marlieu, nous voilà maintenant en rive gauche à quelques mètres en amont du pont de la Tuilière, tirant les kayaks hors de l’eau, et désormais face à l’inconnu pour aborder la deuxième partie originale de cette sortie.
Objectif, rejoindre Talissieu au prix d’un portage que nous appréhendons déjà par la distance théorique à parcourir, avoisinant les 1km. Nos phalanges comprimées par les poignées de portage des kayaks, mais également nos muscles trapézoïdaux peinant à supporter dans la durée le poids des bateaux, nous obligent à faire quelques pauses en bord de route. Après avoir franchi la voie ferrée, notre équipe retrouve le moral qui d’ailleurs se renforcera significativement une fois que nous aurons traversé la départementale 904. Très vite, le panneau mentionnant le nom du village tant convoité nous apportera la même satisfaction qu’un drapeau à damiers, illustrant malgré lui une ligne d’arrivée fictive que nous traversons allègrement avant de laisser nos kayaks s’échouer lourdement sur le sol.
Les grondements propagés par les remous du Séran laisseront place à une nouvelle musique aquatique douce et apaisante composée par « Le Petit Vouard ». La faible hauteur d’eau ainsi que la transparence cristalline de cette dernière, le tout mélangé à cette douce mélodie, nous invitent sans plus attendre, dans une attraction magnétique contagieuse, à venir embarquer au pied du lavoir du village.
Une fois à l’eau, le mouvement ainsi que la tenue de pagaie changent radicalement. Elle nous sert principalement à maintenir notre direction de façon plus douce en nous laissant dériver volontairement au fil des événements. Nos muscles sollicités de façon sportive et intensive en ce début de journée, se relâchent progressivement. Rapidement, nous laisserons le village de Talissieu derrière nous, en pénétrant à l’intérieur d’un tunnel en tôles annelées, juste en dessous de la route départementale 904 reliant Béon à Artemare.
A sa sortie, nous sommes comme projetés en pleine nature, faisant partie intégrante d’un paysage idyllique qu’il nous tarde de découvrir.
Nous tendons l’oreille, à l’affût du silence pour apprécier les moindres manifestations de la faune environnante dans cette ambiance à la sauce « Into The Wild ».
Ces quelques minutes de silence et de quiétude sont cependant entrecoupées par les éloges de Laurent, décidément conquis et ravi de découvrir ce lieu idyllique qu’il convoitait depuis quelques temps. Il file à vive allure en aval, pour sortir de son bateau, dégainer à nouveau son reflex et bombarder inlassablement les lieux qui nous entourent sans en perdre une miette. La lumière ambiante perd un peu d’intensité, jouant à cache-cache avec les quelques petites masses nuageuses venues s’inviter en ce milieu de journée. Elle reste néanmoins présente, projetant ses derniers rayons orangés, pour peu que le photographe averti arrive à saisir l’instant avant qu’elle retourne se faufiler furtivement dans cette brume cotonneuse.
Le bras principal se sépare pour nous en offrir un autre, secondaire, avec une eau si calme et lisse qu’elle donnera l’impression, pour le kayakiste en tête du groupe, de naviguer sur un miroir de cristal, au travers duquel, nous arrivons à distinguer la végétation aquatique et le lit du ruisseau.
La hauteur d’eau n’étant plus suffisante, nous sommes contraints de rebrousser chemin et rejoindre à nouveau le ruisseau principal. Nous le quitterons définitivement par la suite, quelques centaines de mètres en aval, au profit d’un autre ruisseau: « Les Rousses ».
Ce dernier nous transportera rapidement, juste après avoir franchi par-dessous le pont de la départementale 37 reliant les communes de Béon et de Ceyzérieu, au cœur des Marais de Lavours qui, après ces dernières pluies intenses, sont complètement submergés. La configuration des lieux change radicalement pour nous offrir de multiples bras annexes à explorer, que nous devrons repérer au préalable avec la plus grande rigueur sous peine de nous perdre dans ce labyrinthe aquatique.
Des vues surprenantes s’offrent à nous, me rappelant notre dernière sortie similaire effectuée il y a deux ans au même endroit. L’imposant Géant du Bugey, plus communément appelé « Le Grand Colombier », observé depuis les marais, nous rappelle par sa grande taille qu’il règne toujours en maître incontesté des lieux.
Avant de retrouver « Les Rousses » et poursuivre notre aventure, je prends quelques minutes de mon temps pour contempler à nouveau les choses et les apprécier comme jamais, au cœur de ses marécages, me sachant préservé des agressions du monde extérieur, comme peut l’être la faune environnante, entourée tout comme moi par ces roselières protectrices.
J’ai toujours eu énormément d’admiration pour certains de mes amis proches, qui ont eu le courage, la curiosité et l’audace pour aller à l’autre bout du monde, explorer de nouveaux continents, s’imprégner d’une nouvelle culture et de s’enrichir sur le plan intellectuel et culturel.
Pourtant… Sans être chauviniste , je persiste et je signe, que l’aventure, quelle qu’elle soit, peut se vivre avec autant d’intensité ne serait-ce qu’à deux pas de chez soi. Le Bugey, comme tout autre contrée d’ailleurs, regorge de paysages d’une variété exceptionnelle, prête à nous ouvrir les bras, pour peu que l’on prenne le temps de s’y intéresser, de repérer ces trésors visuels d’une richesse infinie au préalable.
Ce sera juste après cette petite pensée philosophique que nous rejoindrons, par le ruisseau des Rousses, le Séran. Ce dernier, toujours animé par sa puissance acquise ces dernières 24 heures grâce aux pluies abondantes de la veille, expédie encore une partie de son débit dans « les Rousses ». Il nous faudra alors forcer davantage sur la pagaie pour nous extraire du ruisseau, dont le courant inversé, semble vouloir nous retenir par sa force hydraulique, à l’intérieur des marais.
Nous retrouvons donc, au prix d’un dernier embâcle à franchir, notre ami de toujours, « Le Séran ». Il nous accompagne sur les 500 derniers mètres, aidé de ses courants puissants, vers la fin de notre odyssée Bugiste. Le pont d’Aignoz, comme à son habitude depuis pas mal de sorties maintenant, matérialisera la ligne d’arrivée. La hauteur d’eau nous obligera à être vigilants et d’incliner rapidement la tête en avant en amont de l’ouvrage, afin de ne pas percuter le pont de plein fouet.
Une fois franchi, nous profiterons comme à l’accoutumé d’un gros contre-courant en rive droite pour nous faufiler sur un chemin inondé. La hauteur d’eau anormale nous économisera d’un portage pour rejoindre le parking où nous attend nos véhicules, stationnés à l’entrée de la réserve naturelle des Marais de Lavours.
La jupe dégrafée de l’hiloire, le pied à terre, nous échangeons tous, comme bien souvent à l’issue d’une sortie de cette envergure, un regard satisfait et complice, le cœur rempli d’énergie positive.
La lumière environnante commence petit à petit à tirer sa révérence. L’astre lumineux, source de vie, décline lentement au profit des premières ombres encore timides, qui commencent à s’étirer discrètement dans un nombre incalculable, similaire d’ailleurs, à cette végétation verticale et immense qui nous entoure.
Encerclés par la douceur de ce crépuscule de fin de journée, nous ne prenons pas encore conscience que notre esprit quant à lui, brille toujours de l’intérieur, occupé à mettre en place les premiers fragments visuels, sonores et olfactifs de ces moments forts passés sur l’eau, qui vont petit à petit prendre place, et construire durablement de précieux souvenirs.
Nous nous extrayons tant bien que mal de nos combinaisons sèches, pour ensuite ranger le matériel et hisser les premiers kayaks sur les barres de toit.
Un jeune couple, entouré de deux enfants en bas âge, profitant des derniers instants de cette journée pour prendre la direction des sentiers sur pilotis à l’entrée de la réserve naturelle des Marais de Lavours, stoppe provisoirement sa promenade à notre hauteur. Curieux et peu habitué à croiser des kayakistes en cette saison, et plus particulièrement à proximité d’un Séran aux courants puissants, le père de famille engage la conversation :
Ce n’est pas tous les jours que l’on croise des kayakistes sur cette rivière. Vous êtes partis de quel endroit ?
Nous résumons rapidement à notre interlocuteur les points forts de la journée tout en terminant de boucler les sangles sur les kayaks. J’observe en même temps, amusé, le regard d’un de ses enfants, figé sur le dernier des kayaks, resté à terre. Dans ses yeux encore innocents, qui ont jeté leur dévolu sur le bateau au sol, j’entrevois, toujours aussi amusé, un mélange d’appréhension et d’envie de faire quelques pas de plus, ne serait ce que pour pouvoir toucher ce même kayak.
Manifestement conquis par notre réponse qui attisera malgré elle sa curiosité, le père de famille, désormais tenu en haleine enchaîne :
Vous êtes loueurs de kayak ? Une association ? Ou un club ?
Avant de répondre, nous laissons planer un silence, échangeant quelques regards toujours aussi amusés et complices entre nous, avant d’enchaîner comme une évidence :
Nous sommes les…
« Pagayeurs du Séran »

CORNETTO Yves
Une réflexion sur « Pagayeurs du séran »